MARTYRE DE SAINT BARBASCEMIN, ÉVÊQUE DE SÉLEUCIE ET DE CTÉSIPHON ET DE SEIZE AUTRES

(L'an 345 de J.-C.)

fêté le 9 janvier


Au commencement de la sixième année de la persécution, Barbascemin, évêque de Séleucie et de Ctésiphon, fut accusé auprès du roi. «Il y a, disait-on, un homme orgueilleux et impie, qui ne cherche qu'à détourner de nos pratiques et à ruiner notre culte, et qui pousse l'audace jusqu'à blasphémer l'eau et le feu, que nous adorons. — Le nom et la profession de ce téméraire ? dit le roi. — C'est le fils de la sœur de Siméon Bar-Saboé, chef des chrétiens à sa place.» Le prince, frémissant de colère, ordonna de l'amener devant lui; on l'arrêta avec seize chrétiens, dont quelques-uns étaient revêtus du sacerdoce, les autres diacres et clercs que la persécution avait rassemblés de différents lieux autour de leur évêque. Le roi, jetant sur Barbascemin un regard sévère, lui dit : «Homme audacieux et digne du dernier supplice, tu as eu l'impudence, au mépris de mes édits, de te faire chef d'un peuple que j'abhorre, et qui est l'ennemi de nos dieux ! Tu savais bien que c'est pour cela même que j'ai fait mettre à mort Siméon, qui m'était si cher.
— Prince, répondit Barbascemin, nous ne pouvons, nous chrétiens, nous soumettre à vos édits, quand ils sont directement contraires à notre religion. Nous qui ne voudrions pas transgresser une seule lettre de notre loi, comment pourrions-nous l'enfreindre dans ce qu'elle a de capital ?
— Ton âge, je le vois bien, dit le roi, t'a fait perdre la raison, puisque tu cours volontairement à la mort. Eh bien, puisque tu la cherches, tu la trouveras, et aujourd'hui même le neveu périra comme son oncle, et en entraînera un grand nombre dan sa perte.
— Non, répondit Barbascemin, je ne hais point la vie, je ne cherche point la mort; je veux seulement professer librement ma religion, et vivre conformément à ma croyance. Mais quand vous abusez de votre puissance pour nous contraindre à embrasser vos erreurs, à une telle condition, je préfère la mort. Car cette mort n'est pas la fin de la vie, mais le commencement d'une vie meilleure, et, loin d'être un malheur pour moi, elle changera mes joies éphémères d'ici-bas en d'éternelles délices. Dieu donc me préserve d'abandonner jamais ma foi sainte, et de m'écarter d'un seul pas des voies du bienheureux Siméon mon maître !»
Le roi ne put contenir sa colère, et prenant à témoin le soleil, son dieu, il s'écria : «Je détruirai votre secte, j'en ferai disparaître les dernières traces !» Barbascemin, souriant à ces paroles, lui répondit : «Vous attestiez tout à l'heure le soleil, mais vous n'auriez pas dû oublier l'eau et le feu, puisqu'ils sont dieux aussi bien que cet astre; et vous auriez dû aussi implorer leur secours pour nous anéantir.» La fureur du roi fut à son comble, en voyant un homme si peu effrayé de ses menaces de mort, qu'il osait encore le railler. «Tu as donc bien envie de mourir, lui dit-il, que tu cherches à m'irriter pour avoir une mort plus prompte ? Mais combien tu t'abuses ! Tu veux la fin de ta peine, moi je veux ta peine elle-même. Tu auras avant de mourir à lutter longtemps avec toutes les horreurs de la prison, afin que les hommes de ta secte, en voyant tes maux et ta fin misérable, fléchissent et apprennent à redouter la vengeance des lois.»
Ayant dit cela, il fit mettre aux fers et jeter dans une étroite prison tous les confesseurs. Ils y restèrent depuis février jusqu'aux ides de décembre, presque une année. Pendant ce temps, ils eurent à souffrir, de la part des mages, mille vexations, des coups de bâton, des flagellations fréquentes, toutes les horreurs de la faim et de la soif. Le séjour de cette prison, leurs privations de toute espèce, et leurs tourments répétés, les avaient si horriblement défigurés, que leur visage était devenu pâle et livide comme celui des morts, et leur corps d'une maigreur effrayante.
C'est dans ce triste état que, vers la fin de l'année, Barbascemin et ses compagnons furent amenés chargés de chaînes devant le roi à Lédan, dans la province des Huzites, et appliqués de nouveau à la torture. Le roi présidait et voulut les interroger lui-même. «Insensés, leur dit-il, qui courez sciemment à la mort, après tout ce que vous avez souffert serez-vous encore aussi audacieux ? Ouvrez les yeux, il en est temps encore; considérez la fin misérable des hommes de votre secte qui ont péri les premiers entre les mains des bourreaux; ils espéraient, les insensés, de vivre éternellement et d'arriver à je ne sais quel empire qui ne finirait point. Vous voyez combien leur espérance était vaine : car sont-ils revenus à la vie ? Ayez honte d'imiter une pareille folie et de vous attirer une mort certaine; examinez, et prenez le seul parti raisonnable. Si vous vous soumettez aux édits, comptez sur les plus hautes récompenses; toi en particulier, Barbascemin, si tu adores le soleil, tu t'élèveras aux plus grands honneurs, et je t'en donne dès aujourd'hui un gage.» En disant cela il tendit à Barbascemin mille pièces d'or et une magnifique coupe aussi en or, et il ajouta : «Reçois ces présents que j'ai voulu te faire ici, en présence de tout le monde, pour qu'on apprenne à t'imiter; mais ce n'est qu'en attendant les emplois publics, et une satrapie que je te réserve.»
L'évêque fit cette réponse : «Quels sentiments avez-vous donc conçus de moi, pour avoir pu vous flatter que ces misérables hochets, ces honneurs, ces fleurs d'un jour me feraient abandonner le Dieu immortel, dont la puissance a créé toutes choses, et fera, quand elle le voudra, rentrer toutes choses dans le néant ! Ce n'étaient pas ces bagatelles qu'il fallait m'offrir, ô roi, c'était tout votre empire, et tout votre empire ne m'aurait pas plus tenté.
— Prends garde, reprit le roi, par pitié pour toi et pour tes compagnons, prends garde; au refus de mes bontés si tu ajoutes l'insolence, tu n'aboutiras qu'à me faire remplir ton désir et le mien, en te faisant mourir d'abord, ensuite en exterminant toute la race odieuse et exécrable des chrétiens.
— Le Dieu vengeur, répondit le saint martyr, au dernier jour du monde, quand tous les morts paraîtront tremblants devant lui, me le reprocherait. Insensé, me dirait-il, des bagatelles t'ont séduit ! tu as couru après des vanités ! Tu m'as préféré l'or que le roi Sapor ne tenait que de moi ! Au surplus, ô roi, sachez que ma foi m'offre un refuge assuré contre votre colère. Mais vous, prince injuste et tyrannique, consommez votre crime, déployez ces instincts féroces que tant de meurtres n'ont pu assouvir ! C'est assez de paroles, allons, les tortures maintenant.»
Le roi lui dit : «Jusqu'ici je t'avais cru sage, et dans mes paroles et dans tous mes procédés j'observais des égards; je vois maintenant, mais trop tard, que tu es bien différent de ce que je croyais, tu es un aveugle, un fou, un fanatique; je vois qu'on essaye en vain toutes les voies de douceur auprès de cette race des chrétiens; qu'il faut apporter à des maux si profonds des remèdes violents, et vous apprendre, par des châtiments terribles, comment on gouverne les hommes, comment on les fait rentrer dans le devoir.
— Ou plutôt, prince, répondit Barbascemin, jugez de la 92 sagesse des chrétiens par leur courage à mourir pour leur Dieu, et par la fière obstination qu'ils opposent à leurs tyrans; car nous sommes humbles, mais fiers quand il le faut. Tout à l'heure, quand nous rappelions à la foule la caducité et le néant des choses humaines, et à vous, grand roi, que vous étiez mortel comme le reste des hommes, vous sembliez goûter nos paroles, vous vous flattiez peut-être que, pris à ces appâts, nous oublierions la vie éternelle, notre seule espérance, et que, rejetant le vrai bien dont nous sommes en possession, nous tendrions la main à vos présents qui périront demain, ainsi que ce que vous appelez vos dieux : vous vous êtes trompé.»
Le roi fut très irrité de ces paroles. «Il faut, dit-il, que je commande à tous mes préfets d'employer les armes contre les chrétiens, et de conspirer tous ensemble à leur entier anéantissement.
— Dans ce combat, répondit le martyr, la force invincible qui nous vient du Christ, notre Dieu, triomphera sans peine de vous et de vos soldats. Mais si vous croyez pouvoir noyer dans son sang la race des chrétiens, que votre espérance est vaine ! Jamais elle n'est plus féconde, cette race choisie, que quand le fer la moissonne. Elle puise de nouvelles forces dans ses blessures mêmes, elle se multiplie sans mesure sous les coups de ceux qui veulent la détruire. Vous verrez qu'à cette guerre que vous entreprenez contre nous, vos forces ni votre courage ne suffiront pas. Chassez-nous de votre empire : une nouvelle patrie nous accueillera, où nous trouverons des hommes qui nous ressemblent et qui ont la même foi que nous. Vous, un jour, vous voudrez laver vos mains teintes de notre sang, mais vous ne le pourrez pas. Nos frères, les chrétiens que vous avez fait mourir, sont maintenant dans le paradis des délices; les enfants, les vierges que vous avez immolés, règnent maintenant dans la gloire; mais vous, un autre sort vous est réservé, des pleurs, des grincements de dents, et des supplices dont vous ne verrez jamais la fin.»
Ces paroles jetèrent ce roi injuste et cruel dans la plus violente colère, et il l'exhala sur-le-champ dans un sanglant édit de proscription universelle. Tel l'aspic que gonfle sa rage assiège tous les chemins, cherche sa proie les yeux étincelants, et répand partout, sur son passage, les flots d'un poison brûlant.
Telle était la teneur de cet édit : «Quiconque m'est fidèle et s'intéresse au salut de mon empire, qu'il ne souffre sur le territoire de la Perse aucun chrétien sans le forcer à adorer le soleil, à honorer l'eau et le feu, et à se nourrir du sang des animaux. S'il refuse, qu'on le livre aux préfets pour être par eux appliqué aux tortures et mis à mort.»
Saint Barbascemin et ses compagnons souffrirent le martyre la neuvième lune du mois de janvier. Après sa mort, le siège de Séleucie et de Ctésiphon resta vacant pendant vingt ans; la violence de la persécution et la crainte empêchèrent les chrétiens de faire une nouvelle élection.