LES ACTES DE SAINT PATROCLE

L’an de Jésus Christ 274 )

fêté le 21 janvier

Sous l'empire d'Aurélien, il s'éleva une si violente persécution, qu'on livra aux supplices presque tous ceux qui paraissaient être chrétiens. On recherchait ceux qui professaient la loi de Jésus Christ, et quand on en découvrait, on les mettait à mort par divers genres de supplices. Et c'est ainsi qu'un grand nombre passèrent de ce monde au royaume céleste avec la couronne du martyre.
Il y avait alors dans la ville de Troyes un homme de très noble extraction, nommé Patrocle. Il avait établi sa demeure à deux cents pas de la ville, dans un lieu que lui avaient laissé ses parents, avec de nombreuses constructions. C'était un homme d'une grande prudence et fort instruit dans les lettres humaines. Comme il aimait la loi chrétienne, il servait le Dieu du ciel jour et nuit avec une grande piété, fléchissant les genoux dans la prière à toutes les heures, et ne prenant sa réfection quotidienne qu'à la douzième heure du jour; et avant de se mettre à table, il rendait grâces à Dieu par beaucoup de prières et de supplications. Tous les biens qu'il avait reçus de ses parents, il les distribuait aux veuves et aux orphelins; car il aimait le Christ de tout son cœur : et ses nombreuses largesses le faisaient regarder par tous les chrétiens comme l'économe céleste. C'est ainsi que ce saint homme, menait constamment une vie admirable dans le service de Dieu, dans la prière et dans le jeûne, s'enrichissant des trésors du ciel, selon ce qui est écrit dans les livres du saint Évangile, où le Seigneur Lui-même dit : «Tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-Moi.» Le saint homme Patrocle persévérait donc dans la crainte de Dieu et dans la prière; il mettait en fuite les démons, et le Seigneur opérait par lui grand nombre de miracles. Aussi tous le respectaient comme un homme juste et un digne serviteur de Dieu. Son maintien respirait la piété, et son visage était plein de charmes.
Aurélien, ce très-impie persécuteur des chrétiens, ayant quitté le territoire de la noble ville de Sens, se rendit à Troyes. Ayant ouï parler des actions du bienheureux Patrocle, il prit sur sa personne de secrètes informations; puis, l'ayant fait venir, il lui dit : «J'apprends qu'en telle et telle circonstance tu agis par une ignorance grossière; on dit même que par une religion vaine tu honores et adores un homme qui jadis a reçu des soufflets.» Patrocle ne fit aucune réponse à ces paroles insensées. Aurélien lui dit : «Quel est ton nom ?» Il répondit : «On m'appelle Patrocle.» Aurélien : «Quelle est ta religion ? quel Dieu adores-tu ?» Patrocle : «J'adore le Dieu vivant et véritable, qui habite dans les cieux, qui voit les choses les plus humbles, et qui sait tout ce qui doit arriver.» Aurélien : «Quitte cette folie, et adore nos dieux; si tu sers nos divinités, elles sont en état de te procurer des honneurs, des richesses et un grand nom.» Patrocle : «Moi je ne connais d'autre Dieu que l'unique et vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre, et tout ce qu'ils renferment; c'est Lui qui a fait les choses visibles et les invisibles.» Aurélien : «Prouve-nous que ce que tu dis est véritable.» Patrocle : «Tout ce que j'avance est vrai et facile à démontrer; mais je sais que le mensonge déteste la vérité.» Aurélien : «Je te livrerai aux flammes, si tu ne sacrifies aux dieux.» Patrocle : «J'offre un sacrifice de louanges, et je m'immole moi-même comme une victime vivante à Dieu, qui a daigné m'appeler au martyre pour la gloire de son Nom.»
Aurélien, transporté de fureur contre la loi des chrétiens, dit alors : «Mettez-lui les entraves aux pieds et des chaînes embrasées aux mains, et frappez-le sur le dos avec des bâtons; enfermez-le dans une prison isolée, en attendant que j'examine de quelle manière il doit périr.» Et c'est ainsi que le saint homme, cet élu de Dieu, fut livré enchaîné à Élégius, l'un des ministres qui étaient présents, afin qu'il l'eût sous sa garde jusqu'au troisième jour. Le bienheureux Patrocle, durant les trois jours qu'il passa en prison, priait le Seigneur et disait : «Que ta Miséricorde, Seigneur, daigne me consoler, selon la parole que Tu en as donnée à ton serviteur.» Et encore : «Je me réjouirai, je tressaillirai d'allégresse dans ta Miséricorde, Seigneur; parce que vous avez regardé ma bassesse.»
Le troisième jour étant venu, on produisit en public le bienheureux Patrocle, et le juge lui dit : «Viens, contempteur de nos divinités, délivre-toi toi-même en sacrifiant aux dieux.» Patrocle répondit : «Le Seigneur délivrera les âmes de ses serviteurs, et tous ceux qui espèrent en Lui ne pécheront point. Cependant je puis te faire quelque largesse de mon trésor, si tu veux la recevoir : car tu es pauvre.» Aurélien : «Comment oses-tu m'appeler pauvre, moi qui possède tant de richesses ?» Patrocle : «Tu possèdes effectivement des richesses terrestres; mais tu es pauvre en la foi du Seigneur Jésus Christ, laquelle tu n'as pas voulu recevoir. C'est pourquoi Il te damnera avec ton père le diable.» Aurélien : «Tu ne cesses de me dire tant d'injures, que je ne puis désormais te faire grâce.» Patrocle : «Dieu aura pitié de moi, Lui que je sers dès ma jeunesse; car nous avons en abomination ton culte vain et superstitieux, et la gloire temporelle si caduque et si funeste. Mais malheur à toi, lorsque tu arriveras en ce lieu où le diable est tourmenté ! Tu verras alors quels supplices sans fin te sont réservés.» Aurélien : «Je n'ai jamais entendu rien de semblable; ce que je sais, c'est que tu es entre mes mains.» Patrocle : «Tu peux tourmenter mon corps tant que tu voudras; néanmoins il n'est pas en ton pouvoir de déchirer mon âme; car Dieu seul, qui l'a placée dans mon corps, a puissance sur elle, selon que dit le Seigneur Lui-même : «Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent rien faire de plus, craignez plutôt celui qui, après la mort du corps, peut envoyer l'âme dans l'enfer.» Aurélien : «N'ont-ils pas ce pouvoir nos dieux qui ont rendu tant de vrais oracles, et qui t'ont jusqu'ici permis de vivre ?» Patrocle : «Qui sont-ils, vos dieux ?» Aurélien : «C'est d'abord le très excellent Apollon, ce dieu véritable; c'est Jupiter, le plus grand des dieux; c'est Diane, la mère des dieux, de ces dieux qui révèlent la vérité aux hommes.» Patrocle : «Cet Apollon que tu prétends être un dieu, nous avons appris de nos anciens qu'il paissait les troupeaux du roi Admète, et que ce Jupiter que tu adores, est mort d'un catarrhe ou d'un flux de ventre. Je sais, de plus, que c'était un homme dépravé, très méchant, adultère, rapace, inventeur de toutes sortes de maux, qui semait le scandale parmi ses voisins et la discorde parmi ses proches, et qui aimait à dépouiller les pauvres. Partout où il allait demeurer, aussitôt on voyait naître des séditions et les homicides se multiplier. Aussi a-t-il péri par une mort des plus honteuses, et la terre ne l'a point reçu dans son sein. Quant à Diane, que tu appelles la mère des dieux, qui ne sait que c'est le démon du midi ? 0 incrédulité des hommes, qui honorent de vaines idoles, qui adorent sans utilité ce qu'ils ignorent, ainsi qu'il est écrit : «Qu'ils leur deviennent semblables ceux qui les fabriquent, et tous ceux qui se confient en elles.» Aurélien : «J'ai fait preuve d'une grande patience en écoutant des discours aussi audacieux. Mais je te répète que si tu n'adores Apollon, Jupiter et la mère des dieux, aujourd'hui même je te ferai périr par divers supplices.» Patrocle : «Tu ressembles à ce larron à qui on peut abandonner un cadavre dont il aura ôté la vie, mais qui cependant ne peut manger ce Corps.»
Après que Patrocle eut ainsi parlé, Aurélien plein de fureur s'écria : «Nous ordonnons que Patrocle, cet homme aussi nuisible que détestable, qui nous a insulté et qui a injurié nos dieux, soit frappé du glaive, afin qu'il ne tienne plus de propos insensés. Conduisez-le au bord des eaux, et là décapitez-le, et que son corps ne soit pas mis en terre.» Cet homme bienheureux fut donc livré aux bourreaux et conduit sur les rives de la Seine. Lorsqu'il y fut arrivé, il pria en ces termes : «Seigneur Jésus Christ, ne souffre pas que mon corps repose en ce lieu plein d'eau; mais donne victoire à ton Nom, afin qu'il soit glorifié dans toutes les nations, de peur qu'ils ne viennent à dire : «Où est leur Dieu ?» Exauce, Seigneur, ma prière, comme Tu as exaucé Moïse et Aaron avec ton peuple, en ouvrant la mer devant eux, et en les y faisant passer à pied sec. De même aussi, Seigneur, permettez que je passe ce fleuve, ainsi qu'il est écrit : «Arrache-moi de la boue, afin que je n'y reste pas enfoncé, et délivre-moi de ceux qui me persécutent.»
Après qu'il eut ainsi prié, les yeux de ceux qui le tenaient furent obscurcis, et le saint étant entré dans le fleuve, passa sur la rive opposée, l'eau lui venant à peine jusqu'aux genoux. Or, à cette époque, la rivière était débordée. Le bienheureux Patrocle étant sorti de l'eau, se rendit à un lieu sec, qui est le mont des Idoles, et il disait : «Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs, et Il les délivrera de la main du pécheur.» Ceux qui l'avaient amené redoutaient la colère de César; cependant ils disaient : «Il est grand ce Dieu qu'il adore, et qui l'a ainsi délivré !» D'autres disaient : «Non, tout ceci n'est qu'un fantôme.» Après qu'ils eurent ainsi parlé quelques moments, il s'éleva entre eux une vive contestation. Comme ils se disputaient ainsi, survint une femme turbulente, qui était païenne; elle leur dit : «Cet homme que vous cherchez, je viens de le voir sur la montagne, de l'autre côté de la rivière, le visage prosterné contre terre et adorant son Dieu.» Les bourreaux l'avant aperçu, disposés comme ils étaient à répandre le sang du juste et de l'innocent, se rendirent en toute hâte auprès de lui. Et l'ayant trouvé absorbé dans sa prière, l’un d’eux qui était l'intendant des supplices, s'avança vers lui et lui dit : «Tu es vraiment coupable, puisque tu t'es enfui. Mais maintenant te voilà entre nos mains, et tu ne nous échapperas plus, jusqu'à ce que tu sois mort, ou que tu aies sacrifié à nos dieux.» Patrocle répondit : «Je n'adore point des démons impurs, je ne reconnais qu'un seul vrai Dieu.» Les bourreaux lui dirent : «Eh bien ! ton Dieu, quel est-il ? où est-il, ton Créateur ?» Patrocle répondit : «0 gens superstitieux ! qui pourrait raconter ce qu'est Dieu, Lui qui a tout fait, soit dans les cieux, soit sur la terre ? Ensuite Il envoya son Fils, Jésus Christ, qui a répandu son Sang pour nous, afin de nous racheter de la mort; qui, ayant été enseveli après sa mort, ressuscita le troisième jour d'entre les morts, monta ensuite glorieusement au ciel, et envoya son Esprit saint, dont Il a rempli le monde. C'est en Lui qu'il faut croire. Mais ceux en qui vous croyez par une erreur immonde et un vain amour, je sais que ce sont des démons, qui seront dispersés, comme dit le prophète : «En ce jour-là, lorsque viendra le feu qui sondera les consciences, malheur au vain culte des démons et à ses œuvres; car il est écrit : Quiconque sacrifiera aux démons, sera plongé avec eux dans un feu éternel.»
Après ce discours du bienheureux Patrocle, Élégius, ne se possédant plus de fureur, s'écria : «Serrez-lui fortement les pieds avec des liens et les mains avec des chaînes, puis frappez-le du glaive, puisqu'il a osé injurier nos dieux.» Patrocle fléchissant alors les genoux, fut renversé à terre par un des bourreaux; et pendant qu'on le frappait du glaive, il dit : «Je remets, Seigneur, mon esprit et mon âme entre tes Mains; car je sais que c'est pour ton Nom que j'endure ces peines.» Les bourreaux jetèrent au loin sa tête toute sanglante, et, laissèrent là le corps; puis, après cette exécution, ils retournèrent vers César. Le martyre du saint arriva le douze des calendes de février, un vendredi, le jour même de la Parascève.
Deux vieillards qui demandaient l'aumône, ayant appris ce qui s'était passé, emportèrent le corps du martyr avec crainte et tremblement, et le gardèrent jusqu'au soir. Eusèbe, qui était archiprêtre en ce même lieu, et le diacre Libère, vinrent la nuit suivante avec des linceuls, dont ils enveloppèrent le corps, et l'ensevelirent avec un luminaire médiocre, de peur de la foule des gentils. Ils veillèrent auprès du saint corps avec les deux vieillards, et disaient : «0 Seigneur, que la mort de tes saints est précieuse en ta Présence !» Et le Seigneur Lui-même a dit : «Bienheureux sont ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux.» David aussi a dit : «Réjouissez-vous, justes, dans le Seigneur, et tressaillez d'allégresse.» Et encore : «Le juste se réjouira clans le Seigneur, et il espérera en Lui.»
Quelque temps après, la persécution s'étant apaisée, Eusèbe, qui avait mis le corps du saint dans le sépulcre, fit construire au-dessus un petit édifice, selon que ses facultés le lui permirent, et quand arriva le moment, auquel doit succomber l'humaine fragilité, il demanda d'être enterré près du lieu où l'on avait versé le sang du bienheureux Patrocle, martyr du Seigneur Jésus Christ, qui règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.